jeudi 18 novembre 2010

Chantiers Politiques - Crises et catastrophes. Nouvelles perspectives, nouveaux défis


http://www.chantiers-politiques.com/Crises_et_catastrophes._Nouvelles_perspectives,_nouveaux_defis-9-sommaire.html

Cécile Ondoa Abeng 

Disons le d'emblée : l'année 2009 et les premiers mois de l'année 2010 auront été moroses.

La crise économique, le tremblement de terre à Haïti, l'échec du sommet de Copenhague en lequel tant de personnes voyaient la possibilité d'apporter une réponse concrète au défi du changement climatique ; tous ces évènements sont venus rappeler la vulnérabilité de nos sociétés et de nos modes de gouvernance.

Outre les conséquences dramatiques qu'ils ont entraînées – pensons aux 220 000 victimes du tremblement de terre à Haïti –, ces évènements semblent avoir profondément remis en cause le politique, compris comme instance première de régulation des sociétés sous leurs divers aspects. La crise économique résonne comme la conséquence de l'incapacité des gouvernants à réguler une sphère financière qui prend une importance croissante, au détriment de l'économie réelle. Le tremblement de terre survenu à Haïti révèle les lacunes d'une gouvernance mondiale inapte à prévenir les risques auxquels sont confrontés les sociétés et les territoires les plus vulnérables. L'échec – évident, quoi qu'on en dise – du sommet de Copenhague semble être le révélateur du refus des gouvernements de prendre la mesure de la problématique environnementale, et de s'engager sur une voie nouvelle, conciliant les impératifs du progrès économique et social et la préservation des ressources naturelles. La liste pourrait être allongée.

Aujourd'hui déjà, de nombreux théoriciens du politique insistent sur le recul – volontaire à certains égards – et la reconfiguration des modes traditionnels de l'action publique, dépassés par la sphère économique ; par la multiplication et la dispersion – à l'heure de la mondialisation – des réseaux et des centres de décision et d'action ; par l'affirmation, dans de nombreux cas, d'une société civile soucieuse de s'organiser par elle-même et d'apporter une contre-expertise indépendante des dispositifs techniques institutionnels. L'emphase médiatique suscitée par les crises survenues récemment ne serait-elle donc que le reflet d'une crise plus profonde, celle du politique, incapable, face à la complexité croissante des sociétés, d'apporter une réponse cohérente aux nombreux défis du XXIe siècle ? Ou bien cette emphase est-elle justement l'occasion, pour les gouvernants, de se voir relégitimés, en (re)trouvant, dans la gestion des crises et catastrophes, matière à action ?

Paradoxalement, alors même que ces diverses crises et catastrophes viennent ébranler nos modes de gouvernance, nous vivons actuellement dans des sociétés – occidentales en tout cas – où la place accordée à la prévention du risque n'a jamais été aussi importante, où la « démocratie technique », comme ensemble de dispositifs destinés à gérer les incertitudes n'a jamais paru aussi triomphante. En ce sens, certains parlent de nos jours d'une véritable « société du risque », qui a trouvé son aboutissement avec l'inscription dans la Constitution française, en 2005, du « principe de précaution ».

Dès lors comment interpréter ce paradoxe, et comment y répondre ? Comment penser aujourd'hui l'articulation entre d'une part des sociétés et un environnement – au sens géologique du terme – de plus en plus complexes; d'autre part les dispositifs techniques mis en place en nombre croissant pour répondre à cette complexité mais qui montrent parfois leurs limites ; et enfin une sphère politique dont il s'agit de repenser les modes d'action et de régulation ? Quelles perspectives, quels défis pour l'avenir ?

En consacrant ce huitième numéro au thème des « crises et catastrophes », c'est à ces interrogations que Chantiers Politiques, toujours soucieuse de saisir les phénomènes politiques en cours de construction, a souhaité répondre, en mettant en lumière les nouvelles perspectives et les nouveaux défis suscités par cette problématique.

Nouvelles perspectives tout d'abord. Les trois premières contributions de ce numéro cherchent ainsi à préciser les distinctions conceptuelles entre les notions de crise et de catastrophe, souvent perçues comme interchangeables, mais qui déterminent en fait des modes différents d'action publique, et mobilisent des répertoires discursifs particuliers. Comme le rappelle Félix Blanc («Rhétoriques de crise, crises de notre temps ? Quelques usages du concept de crise de Thomas Paine à Barack Obama »), de telles précisions conceptuelles sont nécessaires, afin, face aux crises et catastrophes, « de maintenir une position critique seule à même d'en conjurer la fascination ».

Nouveaux défis ensuite. Car face à la remise en cause de nos modes de gouvernance, qui ont montré leurs limites dans la gestion des crises et des catastrophes, n'est-il pas nécessaire que ces modes soient repensés ? C'est sur une telle piste de réflexion que s'engagent Emmanuelle Fillion et Julien Gardaix. Dans leurs contributions, s'exprime l'idée que la «gouvernance des risques » gagnerait en efficacité et  en légitimité si la « société civile » s'y trouvait davantage associée. En effet, comme le souligne Emmanuelle Fillion à travers l'exemple de l'affaire du sang contaminé en France, les acteurs sociaux peuvent être à l'origine, face à une crise grave, d'un important travail critique donnant lieu à une profonde « reconfiguration sociale ».

La multiplication récente de crises diverses suscite également des défis en termes de gestion des territoires. L'article de Lila Lakehal vient ainsi rappeler que cette gestion des territoires opère dans le cadre d'intérêts divers, notamment économiques, qui tendent à minimiser les risques géographiques, en l'occurrence le risque d'inondation. Il devient alors important de repenser l'articulation de ces enjeux multiples, afin que les stratégies de développement économique, dans le cadre de la mise en concurrence des métropoles mondiales, ne s'opèrent pas au détriment de la sécurité des citoyens. Dans une autre perspective, c'est bien la question de la vulnérabilité des territoires que pose l'article de Jason Warner et Anthony Berryhill, à travers une mise en perspective des conséquences de l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, et de celles du séisme survenu récemment à Haïti. Rédigé en anglais (une première pour Chantiers Politiques !) cet article souhaite mettre en avant, à travers la notion de « catastrophes-in-development», que la vulnérabilité géographique n'est souvent que le catalyseur de la vulnérabilité et de la marginalité sociales. En ce sens cet article lance un véritable défi à la gouvernance des crises et catastrophes à l'échelle mondiale : il s'agit de poser de nouveaux jalons pour une gouvernance mondiale qui agirait moins en aval, dans l'urgence, et plus en amont, c'est-à-dire sur les causes structurelles qui rendent les populations les plus marginalisées si vulnérables aux catastrophes naturelles.

Quant aux deux entretiens menés pour ce numéro, ils se proposent de revenir sur deux crises majeures, l'une d'une actualité encore brûlante, à savoir la crise économique, dont les économies mondiales ne sont pas encore sorties ; et l'autre tendant à se faire oublier, à savoir la crise alimentaire. L'économiste Michel Aglietta a en effet accepté d'éclairer pour Chantiers Politiques les mécanismes de la crise économique actuelle, qui trouve son origine dans l'endettement excessif des ménages américains, à travers le mécanisme des prêts subprimes, jusqu'à l'éclatement de la bulle immobilière. En ce sens les propos de M. Aglietta font signe vers une plus grande régulation de la sphère financière, de manière à contenir la spirale d'endettement dans laquelle sont entraînées les économies mondiales. Car comme il le rappelle, « la crise que nous traversons n'est pas une crise conjoncturelle [. . .] elle révèle les dysfonctionnements d'un régime de croissance». Les analyses proposées par Sylvie Brunel sur la faim dans le monde, nous rappellent pour leur part que la sécurité alimentaire pour tous reste un enjeu majeur du XXIe siècle, en même temps qu'un défi surmontable, dès lors que l'on se donne les moyens de répartir équitablement des disponibilités alimentaires qui, théoriquement, devraient suffire à nourrir l'ensemble de la population mondiale.

Ce huitième numéro de Chantiers Politiques est également l'occasion de mettre en place une nouvelle rubrique, à savoir des « notes de lecture », ici consacrées à l'ouvrage récemment réédité (octobre 2009) de Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. Bien que formulée pour la première fois en 1986,  sa théorie des « conjonctures fluides » comme « dynamique de mobilisations multisectorielles » reste en effet tout à fait pertinente pour étudier les processus de transformation politique.

Nous terminons ce numéro avec deux contributions critiques. La première, à travers un retour historique sur la gestion des crises et catastrophes sanitaires mondiales par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), ouvre des perspectives de réforme pour cette institution, dont le mode de fonctionnement a été profondément remis en cause suite à sa gestion de la grippe H1N1. La seconde, en rapprochant les crises économique et climatique comme révélatrices toutes deux de sociétés où la vision à court terme l'a emporté sur la capacité des acteurs à se projeter dans l'avenir, cherche à répondre à une question déjà en filigrane de la contribution inaugurale de ce numéro (voir Constance von Briskorn, «Penser la catastrophe. Nouveau plaidoyer pour un catastrophisme éclairé ») : « Faut-il attendre la catastrophe pour agir ? »

Au final, en axant ce numéro autour de la thématique des crises et catastrophes, Chantiers Politiques a voulu en éclairer les enjeux les plus saillants, tout en se refusant à placer cette réflexion sous le signe d'un catastrophisme réducteur. Car ce sur quoi nous voulons insister, c'est non pas sur la nouveauté d'évènements qui sont finalement venus nous rappeler à notre fragilité (confirmée, à l'heure où nous bouclons ce numéro, par la crise aérienne provoquée par l'éruption du volcan Eyjafjöll en Islande), mais sur les nouvelles pistes de réflexion et d'action à tracer pour envisager, sereinement, l'avenir. Les diverses contributions de ce numéro le rappellent : ces pistes sont nombreuses. Le défaitisme, même éclairé, est à exclure.









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