Point de vue
Un référendum sur le nucléaire en France !
| 12.05.11 | 15h44 • Mis à jour le 12.05.11 | 18h07
Au moment de célébrer le triste anniversaire des 25 ans de Tchernobyl, une autre catastrophe a jeté sa lumière froide sur les limites de notre maîtrise collective du feu nucléaire. En 1986, le contexte de guerre froide et les réassurances artificielles prodiguées à l'opinion publique avaient pu prétendre minimiser la portée de cet accident gravissime : les Soviétiques ne se préoccupent pas de sûreté nucléaire, leur système est désuet et non fiable, le nuage s'est dispersé avant d'atteindre le territoire français...
Aujourd'hui, le contexte a changé, les Japonais ont plutôt la réputation d'être fiables et le bêtisier de Tchernobyl n'a plus cours. Assurément, la catastrophe de Fukushima qui se poursuit crée une rupture que nous voulons pérenne dans notre relation au risque nucléaire. Elle impose de placer enfin la démocratie et la citoyenneté face à la technologie la plus dangereuse du monde.
De Tchernobyl à Fukushima, pourtant, il semble que nous n'ayons rien appris. Car le débat principal, le seul auquel les Français pourraient réellement participer, est escamoté, enfoui dans ce bavardage ininterrompu entre experts plus ou moins péremptoires. Comme l'avoue honnêtement le président de l'Autorité française de sûreté nucléaire, André-Pierre Lacoste (Le Monde du 31 mars), "personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais un accident grave en France". Donc le seul débat qui devrait avoir lieu dans ce pays, c'est celui de savoir si oui ou non les Français veulent assumer collectivement ce risque.
Les Français veulent-ils ou non, en connaissance de cause, entretenir sur le territoire national le risque d'une catastrophe nucléaire ? Et ce débat ne se réglera ni à coups d'expertises concurrentes ou vaguement contradictoires ni à coups de sondages plus ou moins fiables. C'est un débat fondamental pour une communauté citoyenne, celui de se mettre d'accord sur le niveau de risque que ses membres sont collectivement prêts à assumer.
Nous n'avançons pas masqués : nous défendons la sortie progressive du nucléaire, qui passe selon nous par la fermeture immédiate des centrales les plus obsolètes et situées en zones à risque, comme Fessenheim, l'arrêt du chantier EPR de Flamanville et le non-renouvellement des centrales sur la base de leur durée de vie actuelle. Mais cette sortie doit relever d'un choix démocratique.
Même un ministre de droite peut comprendre ça. Du moins s'il est allemand. C'est ainsi que le ministre de l'environnement, Norbert Röttgen, déclarait dans le magazine Spiegel du 23 avril : "Si à court terme le coût de l'énergie nucléaire semble bon marché, il est bien trop élevé en cas de catastrophe", pour conclure en disant que la "responsabilité devant le futur" impose de "repenser entièrement la sécurité" à l'aune des erreurs humaines et des forces incontrôlables de la nature. Un tel débat n'a jamais eu lieu en France.
L'atome est le plus durable des compromis politiques passés dans l'histoire de la France d'après guerre - plus encore que les acquis du Conseil national de la Résistance, la construction européenne ou le rôle de l'éducation nationale. Cette persistance à refuser le débat tient à des raisons historiques, technocratiques et politiques : dans le contexte de guerre froide entre deux blocs antagonistes, l'indépendance et la grandeur nationales passent par l'acquisition de l'arme nucléaire et la modernisation technocratique du pays, et l'impact en termes d'emploi garantissant le soutien des syndicats et de la gauche. Jusqu'à l'irruption de l'écologie dans le jeu politique, ce "consensus gaullo-communiste" n'avait jamais été remis en question par aucun mouvement politique constitué.
Aujourd'hui, il est temps que la société française s'empare de cette question. S'il est une leçon à retenir de Fukushima, c'est qu'on ne peut plus laisser prendre des décisions qui engagent à ce point la santé et la sécurité de tous sans un débat national aussi large et ouvert que possible. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il faut formellement poser aux Français la question suivante : "Voulez-vous renouveler le parc nucléaire national par la prolongation ou la construction de centrales ?"
Si le "non" est majoritaire, la sortie progressive du nucléaire s'imposerait et libérerait la créativité pour un autre mix énergétique "zéro risque", nous permettant à la fois de sortir du risque nucléaire tout en luttant contre le risque climatique.
Un référendum, c'est la légitimité d'un débat citoyen qui permet de faire descendre la discussion dans les familles, les cafés, la rue - au lieu de laisser les experts ministériels et les lobbies dans un dialogue plus ou moins médiatisé. Un référendum, c'est aussi l'assurance d'une certaine continuité, évitant le risque d'une majorité versatile pour des politiques qui doivent être menées à long terme.
Enfin, c'est le seul moyen de mettre en question le "consensus atomique", qui nous a fait prendre tant de retard dans le développement des énergies renouvelables, les économies et l'efficacité énergétiques. Car un des enjeux majeurs du débat, c'est de ne pas laisser les Français seuls face à l'explosion de leurs factures d'électricité et face à la précarité énergétique. Il serait stupide aussi de sacrifier les centaines de milliers d'emplois que peut générer une révolution énergétique fondée sur le durable, le renouvelable et la sobriété.
Et puisque se profilent à l'horizon des échéances politiques majeures, disons-le clairement : un accord programmatique avec le PS ne saurait se résumer à un compromis sémantique sur la sortie du "tout" nucléaire ou de la "dépendance" au nucléaire. Ce référendum doit figurer en priorité dans tout accord final.
Il en va de notre responsabilité politique commune de proposer des scénarios crédibles d'alternative et de sortie du nucléaire aux Français. Renan disait que la nation, c'est un plébiscite quotidien dans lequel les citoyens expriment leur voeu de vivre ensemble. Sur des sujets autrement plus graves et dangereux que l'identité nationale, il serait bon pour une fois de donner voix à l'expression souveraine et directe des électeurs.
José Bové, Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, députés européens ; Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme
José Bové, Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, Nicolas Hulot Article paru dans l'édition du 13.05.11
jeudi 19 mai 2011
Fwd: Un référendum sur le nucléaire en France !- Infos - Le Monde - Point de vue - SFEN VdL
"J’ai vécu l’enfer de Fukushima"
Publié le 10 mai 2011 à 06h45
Mis à jour le 10 mai 2011 à 07h56"J'ai vécu l'enfer de Fukushima"
Le Français Philippe Nibelle refuse de quitter sa terre d'adoption.
Cet enseignant de 60 ans, marié à une Japonaise, vit à Aizu Wakamatsu, dans la préfecture de Fukushima, à 100 kilomètres de la centrale nucléaire France Soir
FRANCE-SOIR Où étiez-vous le 11 mars lors du tremblement de terre ?
PHILIPPE NIBELLE Chez moi, dans mon atelier. Cela fait seize ans que je vis au Japon, jamais je n'ai connu un tel tremblement de terre. Je suis traumatisé à vie. Tous les meubles à terre en un instant. Tout tanguait. Je me suis rué dehors. J'ai vu le macadam onduler comme un serpent. Voir la route qui se craquelle, les fissures qui s'ouvrent… c'est affolant. Il y avait une tempête de neige, on n'y voyait rien. Je suis rentré chez moi, je me suis recroquevillé. Je suis resté quatre heures prostré, les muscles tétanisés. Je n'ai pas honte de le dire, j'ai eu peur, j'ai pleuré. Quand ma femme est rentrée de son travail, j'étais muet. C'est elle qui m'a appris qu'il y avait eu un tsunami. Par chance, l'électricité n'a pas été coupée. On a allumé la télé et c'était encore plus affolant. J'ai vu une vidéo qui me hante encore. Elle montrait la vague qui se retirait en emportant des corps, des paquets de corps.
F.-S. A peine remis, vous apprenez qu'une explosion menace la centrale de Fukushima, à 100 km de chez vous…
P. N. J'ai pris la main de ma femme, Keiko, persuadé qu'on allait mourir. Le nucléaire, pour moi, c'était Hiroshima, Nagasaki. La vie était belle, et je me suis retrouvé face à la mort. Et puis l'explosion a eu lieu, et on était encore vivants. Cela m'a redonné de l'espoir ! Je ne connais rien au nucléaire, j'avais une trouille infinie, j'ai cherché des infos sur Internet.
F.-S. Et vous êtes devenu « le Français de Fukushima », correspondant pour de nombreux médias…
P. N. Partager mon quotidien et mes angoisses avec des millions de gens, en français, rendait le fardeau moins lourd. Mon deuxième exutoire a été l'écriture de ce livre. Cela m'a obligé à chercher des informations, à sortir voir des gens. Sinon, je n'avais qu'une envie, me terrer, ou partir.
F.-S. Faisiez-vous confiance aux autorités japonaises ?
P. N. On entendait : « On vous protège. » Mais les sites allemands ou anglais étaient alarmistes. Les Américains évacuaient leurs ressortissants dans un périmètre de 80 km, pas les Japonais. Comment déplacer 20.000 personnes, les loger, leur donner du travail ? Je suis devenu un peu paranoïaque. J'ai pensé qu'on ne nous disait pas la vérité. Ma femme, qui est japonaise, accepte ce que dit son gouvernement. J'ai mis trois semaines à lui faire comprendre qu'il faudrait peut-être, un jour, évacuer. L'ambassade de France nous a envoyé des pilules d'iode de potassium pour protéger la thyroïde. Cela nous donne 24 heures de répit en cas d'explosion pour tenter de nous éloigner.
F.-S. Un soir, de retour du travail, elle vous donne un billet d'avion pour la France…
P. N. Il n'y avait qu'une place, pour moi ! Ce geste d'amour m'a beaucoup déstabilisé. Mon épouse pensait que c'était à cause d'elle que j'étais au Japon. Elle refusait de quitter sa famille, son travail, les patients de la maison de retraite où elle est diététicienne. J'ai pensé à ma fille Chloé. J'ai contacté toute ma famille. Mais partir, c'était fuir. Et je ne voulais pas quitter Keiko.
F.-S. Comment vivez-vous, depuis ?
P. N. Il y a eu plus de 1.100 répliques depuis le 11 mars. Dès que la magnitude est supérieure à 4, vous recevez une alerte à la télé et sur votre mobile. La troisième semaine, il y en avait encore toutes les heures. Vous avez la trouille de prendre une douche, vous dormez à temps partiel, tout habillé, au cas où il faut cavaler dehors. En six semaines, j'ai perdu 7 kg. Aujourd'hui, je laisse une valise dans ma voiture, avec de l'eau, de la nourriture, un réchaud. Chaque matin, je regarde la dose de radioactivité annoncée par ma ville. Puis je constate, grâce à un appareil que m'a envoyé la Criirad (association indépendante d'information et de recherche sur la radioactivité, NDLR), le taux dans mon jardin. Puis je regarde la météo. Et comme je n'ai pas confiance, j'ai investi dans une girouette. Je guette le vent qui vient de la centrale nucléaire.
F.-S. Les autorités japonaises sous-estiment-elles le risque nucléaire ?
P. N. A mon sens, oui. Les habitants continuent à vivre, à travailler. Ils se moquent de moi avec mon gros masque sur le visage, au supermarché. J'ai surtout eu l'impression que Tepco, l'exploitant de la centrale, était dépassé. Il n'y a pas eu de recommandations officielles dans un rayon au-delà de 60 kilomètres autour de Fukushima. Pourtant, la radioactivité que j'ai mesurée chez moi est plus importante que ce que la ville indique. La Criirad a analysé un carré de mon gazon. Résultat : 0,6 mSv de radioactivité. Ils m'ont conseillé de ne pas marcher pieds nus sur ma pelouse pendant quelque temps…
F.-S. Frôler la mort vous a-t-il changé ?
P. N. Oui et non. Je ne veux pas faire d'examen de santé pour savoir si je suis irradié, car ma femme n'y aura pas droit. Je préfère qu'on soit tous les deux dans le même état. Je veux surtout m'impliquer avec la Criirad, car cela m'oblige à rester vigilant. Pour les miens, mais aussi pour les enfants de la région. Ces doses de radioactivité sont inquiétantes à long terme. J'ai distribué dix appareils Radex dans des écoles maternelles pour faire des mesures et envoyer les infos en France. Déjà plus personne ne parle de Fukushima.
F.-S. Jeudi, vous repartez au Japon. Dans quel état d'esprit ?
P. N. J'angoisse. La dernière fois que je suis venu à Paris, il y a deux ans, et que j'ai dit au revoir à ma fille, Chloé, je partais pour un pays normal et tranquille. Cette fois, je ne vais pas dans un paradis, plutôt vers l'enfer. La séparation sera rude. Tepco nous dit que ça va s'arranger, que d'ici neuf mois tout sera réglé. Mais si vendredi, il y a un tremblement de terre de magnitude 9, la centrale explosera. Aurais-je le temps de courir à ma voiture ?
Philippe Nibelle, Journal d'apocalypse, le Français de Fukushima, éd. Du Rocher.
Par Propos recueillis par Juliette DemeyPropos recueillis par Ju
C'est sur France Soir
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