dimanche 2 octobre 2011

Les Monnaies Libres

Les Monnaies Libres (1)

Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors, ils l'ont fait. Mark Twain 
A l'heure où l'intensité de la crise économique et financière peut faire craindre un chaos social et politique, il nous faut imaginer des voies nouvelles qui sortent des sentiers battus pour créer et expérimenter les formes sociales et culturelles, économiques et politiques, qui expriment le nouvel esprit du temps. Dans notre dernier billet, notre esquisse de l'évolution monétaire se terminait sur la perspective des monnaies libres diffusée à travers les réseaux sociaux. C'est à cette future métamorphose du phénomène monétaireque nous consacrons ce billet.

Résumé des épisodes précédents

A l'occasion de la treizième session de l'Université Intégrale autour du thème « Nouvelles Valeurs, Nouvelles Richesse », nous venons d'esquisser une vision intégrale de la monnaie. Nous avons d'abord analysé la dimension synchronique du phénomène monétaire à travers le modèle des Quatre Quadrants de Wilber qui définit les dimensions intérieures, extérieures, individuelles et collectives par lesquelles unsystème monétaire se manifeste dans un temps donné.

Dans le dernier billet, nous avons indiqué quelques éléments concernant la dynamique diachronique de l'évolution monétaire. Car la monnaie apparaît comme un phénomène trans-temporel qui évolue et se transforme selon les diverses « visions du monde » liées aux divers stades de l'évolution culturelle.

Nous vivons aujourd'hui la fin d'un monde. Les diverses crises économiques et financières, écologiques et morales sont autant de symptômes d'une dynamique historique fondée sur l'obsolescence du paradigme abstrait et technocratique de la modernité à laquelle correspondl'émergence d'un autre paradigme, lié au nouveau stade de l'évolution culturelle abordé par une partie de l'humanité.

Monnaies complémentaires

Comme le disait Gramsci : « La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». Dans le domaine économique, à la crise profonde de l'hypercapitalisme dont nous sommes les spectateurs bien souvent sidérés, correspond l'émergence de nouvelles formes économiques et sociales. Il existerait actuellement à travers le monde plus de 5.000 monnaies, qualifiées de complémentaires, qui sont autant d'occasions de refonder la dimension économique sur la base d'une éthique communautaire.

Ces initiatives cherchent à retrouver le rôle fondateur de la monnaie : celui d'un échange et d'une relation sociale qui réfère à l'ordre symbolique sur lequel est fondée toute intersubjectivité. Comme leur nom l'indique, les monnaies complémentaires sont des compléments au système financier géré par les banques et les états comme les médecines complémentaires viennent en complément de la médecine officielle. 
Certains pionniers, comme Jean-François Noubel, veulent aller plus loin. En utilisant les technologies de l'information pour créer des « monnaies libres », ce spécialiste en intelligence collective cherche à démocratiser une création monétaire réservée jusque là au pouvoir régalien. C'est en ce sens qu'il participe à l'invention du prochain système monétaire global : une plateforme distribuée permettant à des millions de monnaies libres de circuler à travers les réseaux - Internet et téléphones mobiles. 
De la rareté à l'abondance 
Voilà comment sur le site The Transitionner, Jean-François Noubel définit son projet : " Le système monétaire actuel est un Titanic. Piloté par quelques uns en haut d'une chaîne de pouvoir, loin du jeu démocratique, obscur, fondé sur des idéologies du passé, il démontre qu'une erreur de pilotage ici, une malveillance là, une négligence générale de l'équipage ont tôt fait de mener le navire à sa perte. Avec tous ses passagers à bord. Evidement ceux qui sont en charge des commandes font tout pour l'empêcher de couler. On connaît la suite... 
Notre système monétaire conventionnel ne durera plus très longtemps. L'argent basé sur la dette et l'intérêt est un système instable, condamné à disparaître du fait de son déséquilibre intrinsèque (par exemple le marché ne peut suivre le montant des intérêts à rembourser)... 
L'argent est un système d'information, fait pour mesurer et réguler des flux dans le monde réel. En théorie, la rareté de l'argent n'est pas une caractéristique nécessaire. De fait, cette rareté est artificielle, et ce bien que certaines ressources (notamment le travail, ou la créativité) soient abondantes. L'argent devrait être en quantité suffisante pour permettre de rendre compte des flux, afin que dans les organisations, les collectivités, les communes, régions... partout où des richesses sont échangées, elles puissent être prises en considération sans contrainte.

Un nouveau paradigme 
L'argent est sur le point de suivre la même évolution que celle qu'ont connu les media durant ces deux dernières décennies. Bientôt, des millions de monnaies libres circuleront à travers nos réseaux informatiques et téléphoniques. Elles ne seront pas contrôlées par des états ou des banques centrales, mais émises par les millions de "places de marché" impatientes de se libérer de l'argent conventionnel, fondé en grande partie (entre 85% et 98%) sur la dette et l'usure. Toutes émettront et utiliseront ces monnaies libres... tout simplement parce que la plupart des individus et des organisations vivent une pénurie monétaire! 
Les "dotcoms", ces grands acteurs des nouvelles technologies (eBay, Google...) seront probablement les premiers à comprendre que leur véritable modèle économique à venir se trouve dans ce nouveau paradigme plutôt que dans le modèle fondé sur l'argent rare, dans lequel ils se sont développés. 
Le projet des monnaies libres (également dénommé Metacurrency) consiste à définir et créer une infrastructure globale au sein de laquelle ces millions de monnaies pourront facilement être émises et circuler, dans une architecture peer-to-peer. Il s'agit de développer le prochain système planétaire pour représenter et comptabiliser la richesse. Il fera partie du patrimoine de l'humanité, et sera entièrement construit sur des outils (notamment logiciels) libres. "

Oser sortir des sentiers battus

Certains d'entre vous penseront : "encore un fou qui cherche à entraîner les autres à la poursuite de ses chimères". (Je les entends déjà...). Et pourtant, l'humanité évolue grâce à l'initiative et à l'inspiration des fous de ce genre, ces pionniers qui tracent des voies originales parce qu'ils sont animés d'une vision qu'ils ont la force d'incarner et le courage de réaliser. Connectés de manière intime et créatrice à la dynamique de l'évolution, ces innovateurs perçoivent avant les autres les formes à travers lesquelles cette dynamique va se manifester.

Le pionnier est tout simplement celui qui n'est plus prisonnier de son passé. Libéré de cette emprise qui pèse sur tant d'autres, il peut donner à la force de son désir et de sa vision la forme d'une destinée et d'une création. Avec son intuition pour unique compagne il avance, pointé du doigt par tous ceux qui restent les otages d'une perspective devenue largement inadaptée. Ces derniers jugent utopiques et irréalistes toutes les innovations qui échappent à leur habitudes de vivre et de penser. Jusqu'au moment où, les faits donnant raison à leur vision, les pionniers sont suivis et imités par ceux-là même qui les avaient désignés et dénigrés quelques temps auparavant.

Nous proposons ci-dessous une vidéo passionnante dans laquelle Jean-François Noubel nous fait participer à sa vision en développant son projet de monnaies libres. A consommer sans modération pour se « décoiffer » en se libérant des concepts restrictifs liés à un paradigme en train de s'écrouler et en s'éveillant à cette nouvelle vision où la société digitale de l'interconnexion devient la matrice d'une « connéthique » : une éthique communautaire correspondant à l'émergence des réseaux intersubjectifs générés par les technologies de l'information.


Jean-François Noubel : Deux ans après le vœu de richesse


Deux ans après le vœu de richesse

Deux ans après le vœu de richesse
http://vimeo.com/29882621

"Deux ans après qu'il ait prononcé le vœu de richesse, Jean-François Noubel partage son expérience, les étapes franchies, les questions qui demeurent, la vision de l'avenir."

Involves Collective Intelligence Research, Jean-François Noubel.


Fwd: Pourquoi l'Allemagne est devenue le terreau des EnR en Europe. - actu-environnement - SFEN VdL - Infos




Pourquoi l'Allemagne est devenue le terreau des EnR en Europe

Alors qu'en Allemagne l'orientation vers les renouvelables s'est inscrite en amont de la politique industrielle et commerciale, la France a décidé de soutenir ces énergies en réaction aux objectifs européens. Historique avec Céline Marcy, de l'IDDRI.

 

Pourquoi l'Allemagne est-elle capable de soutenir une croissance forte des énergies renouvelables, alors qu'en France la mise en place de cadres incitatifs peine à faire émerger un réel dynamisme de ces filières ? interroge Céline Marcy, chercheuse à l'IDDRI, dans la dernière livraison de Global Chance ? Ce qui frappe en Allemagne, c'est la continuité des politiques, la stabilité du cadre réglementaire, incitatif, propice à la maturation technologique. Du coup, c'est tout un terreau institutionnel qui s'installe, propice aux énergies renouvelables (ENR) et à l'émergence d'une politique industrielle devenue le pilier de l'économie allemande.

Les racines de cette politique remontent aux années 70, rappelle l'étude de Global Chance. Après les deux chocs pétroliers, l'Allemagne décide d'augmenter les dépenses de recherche et développement dans les sources d'énergies domestiques. Entre 1974 et 1983, le budget consacré aux renouvelables passe de 20 à 300 millions de DM. Mais jusqu'à la fin des années 80, les renouvelables restent des alternatives marginales, et les grandes compagnies électriques et charbonnières montrent leur hostilité à leur développement.

Stabilité des politiques

En 1986, le choc de Tchernobyl modifie profondément la donne énergétique. En 1988, plus de 70% des Allemands se déclarent hostiles au nucléaire. Et les premières études sur le changement climatique reçoivent de plus en plus d'attention. Dès 1988, un rapport interministériel recommande la réduction des émissions de CO2. Et propose d'instaurer une loi d'achat garanti de l'électricité produite à partir de sources renouvelables. Les parlementaires de tous bords sont unanimes : il est temps de créer un marché pour ces énergies. La présence d'acteurs politiques charismatiques comme Hermann Scheer, artisan de de la loi allemande sur les renouvelables, membre (SPD) du Bundestag à partir de 1980, contribue à ces choix.

A la fin des années 80, trois mesures phares créent les conditions d'un marché des renouvelables. D'abord la création d'un programme 100/250MW d'énergie éolienne rémunère 0,04€/kWh les premiers 100MW installés, puis 0,03€/kWh pour les 150 MW suivants pour gagner de l'expérience avec une mise en exploitation en grandeur réelle. Deuxième mesure, le lancement du programme "1000 toits solaires" est pris en charge à 50% par le gouvernement fédéral et à 20% par les Länder : 2250 toits sont équipés de panneaux solaires pour une capacité totale de 5 MW. Pour compléter le tout, la modification du cadre légal de tarification de l'électricité fait en sorte que les producteurs indépendants d'électricité à partir de renouvelables puissent percevoir une indemnisation supérieure aux coûts marginaux évités des grandes compagnies électriques.

Après une période d'incertitude réglementaire entre 1996 et 1998, dans un contexte de batailles entre groupes de pression (charbon, électricité, ENR), et sur fond de libéralisation du secteur électrique et de difficultés financières consécutives à la réunification, la coalition rouge/vert qui arrive au pouvoir en 1998 met l'accent sur la "modernisation écologique" et les politiques de lutte contre le changement climatique. La politique énergétique est supposée montrer l'exemple : elle comprend une réforme fiscale, la sortie progressive du nucléaire, le renforcement des énergies renouvelables et de la cogénération. En 2000, une nouvelle loi sur les ENR – dite EEG – maintient le principe d'achat garanti et de priorité d'accès sur les réseaux. La continuité du cadre incitatif est assurée, les tarifs de rachat sont garantis sur une durée de 20 ans, ce qui n'était pas le cas auparavant. Un principe de mutualisation permet en outre de redistribuer les surcoûts de production. Les tarifs seront par la suite révisés, selon qu'ils offrent ou non des incitations suffisantes pour encourager le développement des filières.

Quand l'alternative devient la norme

D'autres dimensions telles que la formation des opinions, la création d'un environnement institutionnel favorable ou l'adaptation du tissu industriel s'avèrent propices à l'émergence de politiques publiques. La hausse des investissements de R&D dans ces filières (de 20 à 300 M de DM entre 1974 et 1982) a favorisé un terreau d'universitaires, de centres de recherches, d'industriels et de petites start-ups. La conviction qu'il y avait un avenir pour les renouvelables en a été renforcée. Cette "croyance commune partagée" s'est nourrie de la détermination du gouvernement en faveur de cette forme d'énergie et de la preuve scientifique que les énergies renouvelables pouvaient être des sources de production électrique fiables. La société a été convaincue : il est possible de proposer un modèle alternatif pour la fourniture d'énergie.

Autre facteur déterminant dans l'expansion de cette croyance commune, souligne l'étude de Global Chance, les initiatives locales. Céline Marcy souligne que "la structure politique de l'Allemagne a permis l'émergence d'initiatives locales qui déterminent un processus "bottom up". Certaines municipalités et Länder ont permis à des producteurs d'énergies renouvelables de vendre leur électricité à des tarifs élevés couvrant les coûts de long terme". Le dynamisme associatif a contribué à l'émergence de la filière solaire, grâce à des associations telles que Eurosolar et l'association de l'industrie solaire.

Enfin, l'excellence de l'industrie allemande a permis de structurer la filière des énergies renouvelables. L'énergie éolienne a bénéficié d'effets d'échelle et de transferts technologiques avec d'autres secteurs de pointe en Allemagne tels que l'aéronautique, l'ingénierie des matériaux, l'ingénierie des moteurs. Et les filières d'apprentissage ont accompagné cette mutation. Conséquence, l'Allemagne exporte en 2010 80% de sa production de turbines éoliennes. Le chiffre d'affaires des énergies renouvelables est en augmentation constante depuis 10 ans. En inscrivant sa politique énergétique dans sa politique industrielle et sa politique de commerce extérieur, l'Allemagne a conquis le terrain du renouvelable. De nouveaux défis s'annoncent, comme la concurrence chinoise dans le secteur solaire et la hausse tendancielle des prix de l'électricité, ou la raréfaction des terres rares. Mais l'Allemagne est bel et bien à l'avant-garde d'un nouveau paradigme énergétique