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[EXCLUSIF] DE L'ENVOYEE SPECIALE DE SCIENCES ET AVENIR A FUKUSHIMA : Les fantômes de la zone rouge
Quatre villages toujours habités de la zone de confinement, commencent d'être évacués à cause d'une trop grande radioactivité. Pendant ce temps, à Minamisoma, à 25km de la centrale de Fukushima, où s'est rendue notre envoyée spéciale, la vie reprend son cours tout doucement. Certains habitants, qui avaient fui mi-mars, reviennent. Alors que dans la zone d'exclusion (dite « zone rouge »), abandonnée en urgence, l'opération de recherche des cadavres a commencé. Reportage.
Le taux de radioactivité mesuré le 8 avril 2011 par un membre de Greenpeace à Namie à environ 40 km de Fukushima (c) AfpMercredi 13 avril. C'est mon deuxième séjour dans la « zone de confinement » autour de la centrale nucléaire de Fukushima. Nous arrivons de nuit à Minamisoma. Un hôtel bas de gamme est ouvert. Une chance inespérée dans cette ville située à 25 kilomètres environ de la centrale accidentée. La situation n'a pas beaucoup changé depuis mon dernier passage ici, il y a une dizaine de jours.
Toujours cette impression de calme plat... Sur les 70 000 habitants, il n'en resterait que 20 000 selon les chiffres du maire (1). Mais étrangement, il y a davantage de circulation. Mieux, des commerces ont rouvert. On tombe parfois sur un café, un restaurant, une station-service, voire un magasin de vêtements. Chose impensable il y a encore quelques jours. Alors qu'on parle de « deuxième Tchernobyl », les habitants reviennent petit à petit chez eux, à deux pas de ces réacteurs qui effraient le monde entier depuis la catastrophe du 11 mars, ce tremblement de terre suivi d'un tsunami dévastateur puis, dans les jours suivants, de l'explosion des unités nucléaires.
L'exil ne tient qu'un temps. « Comme tout le monde, je suis partie le 15 mars quand la centrale s'est emballée, raconte Mari, une vendeuse de 28 ans. Mais c'était compliqué de vivre chez ma sœur avec un enfant de deux ans ! J'étais à court d'argent et je ne pouvais pas travailler car personne ne pouvait garder mon fils. » Sa mère est venue la chercher et Mari travaille maintenant avec eux dans la rare supérette encore ouverte de Minamisoma.
Tant bien que mal, la vie s'organise dans cette ville étalée du Nord-Est du Japon. La rentrée scolaire, qui aurait dû avoir lieu début avril, a été annulée et les hôpitaux sont fermés. Au milieu des stores baissés, je trouve un bar providentiel où un couple me sert un bon café à l'ancienne qu'ils « passent » eux-mêmes depuis une bouilloire en cuivre. Ici, on préfère regarder les matchs de baseball que les journaux télévisés anxiogènes. Et ça fait du bien ! Cette cité où les habitants sont tenus de vivre calfeutrés chez eux autant que possible reste fantomatique. Les balançoires sont vides et les ados ne jouent plus au foot. Les passants sont des ombres munies d'un simple masque de papier.
Dans la rue, des haut-parleurs diffusent les dernières nouvelles sur la radioactivité. « L'eau est potable, vous n'avez pas besoin d'acheter d'eau minérale », lance la voix nasillarde. Chacun scrute minutieusement les taux de radioactivité des communes avoisinantes publiés quotidiennement dans le journal. Et tous se rendent régulièrement dans un centre médical où des volontaires protégés par des combinaisons intégrales mesurent leur radioactivité. « Grâce à ces tests, on repère les personnes qui ont reçu des doses importantes de radioactivité, m'explique le responsable du centre. Ca permet surtout de rassurer la population. »
Je poursuis ma route jusqu'à la « zone rouge », le périmètre d'évacuation des 20 kilomètres instauré autour de la centrale de Fukushima peu après le séisme. Des milliers de personnes ont dû quitter leur maison dans l'urgence absolue, certains sans même prendre de valise. Ici aussi, la situation a quelque peu évolué. Alors que les contrôles étaient inexistants il y a dix jours – on entrait alors facilement dans ce périmètre interdit –, un bus de policiers venus de Tokyo est posté à l'entrée sur la route principale. Les agents contrôlent chaque voiture et demandent à chacun l'objet de sa visite dans la zone rouge. Mais leur rôle est essentiellement dissuasif : la plupart des voitures obtiennent le droit de passer. « Une centaine de personnes rentrent ici chaque jour », estime un policier qui précise qu'il est interdit de sortir des objets de la zone rouge. Pour certains, revenir sur place est vital. Shinichiro vient ainsi nourrir ses chevaux dès qu'il le peut. Il a quitté sa ferme pendant deux semaines après l'évacuation, et cinq de ses chevaux n'y ont pas survécu. Ils gisent encore au milieu des écuries. D'autres viennent voir dans quel état se trouve leur maison, frappée par le séisme ou le tsunami.
Une opération de recherche des victimes du tsunami a commencé dans la « zone rouge », jusque là inexplorée par les secouristes. Le matin, se rassemblent une vingtaine de volontaires, suite aux appels lancés par la mairie de Minamisoma. La plupart travaillaient dans des entreprises de construction et savent donc manier des pelleteuses, l'outil indispensable pour cette mission macabre. Ils sont bientôt rejoints par 300 policiers munis de pelles et de bâtons. Tous portent des combinaisons intégrales et des masques. Beaucoup sont équipés d'un dosimètre pour mesurer leur niveau de radioactivité et de lunettes couvrantes. Le temps est radieux mais le vent souffle fort. Les hommes s'engagent par groupe et en ligne dans les marécages. Un chef de ligne muni d'un haut-parleur dirige les opérations. La tâche semble impossible, mais l'équipe parvient à extraire des corps chaque jour...
Lundi 11 avril, le porte-parole du gouvernement a annoncé qu'il allait étendre la zone d'exclusion à quatre nouveaux villages qui concentrent une très forte radioactivité. Une parcelle de Minamisoma sera en outre concernée. « Il n'y a pas beaucoup d'habitants là-bas, mais l'idée est d'empêcher les gens d'entrer dans cette zone radioactive », explique le maire de la ville. A Iitate, commune de 6200 habitants située à une quarantaine de kilomètres de la centrale, on se prépare calmement à cette nouvelle évacuation. Ce matin, une quarantaine de femmes enceintes et de jeunes enfants ont été transportés par un bus affrété par la préfecture. Les autres se préparent à partir par leurs propres moyens. « On reçoit des appels mais les gens ne paniquent pas », assure un employé de la mairie. Il pense qu'il est irréaliste d'espérer évacuer la ville en un mois comme l'annonce le gouvernement. « Les personnes âgées mettront plus de temps à partir. De même pour les fermiers et les entrepreneurs, estime-t-il. Et il faudra peut-être des années avant qu'ils puissent revenir »…
Marie Linton (envoyée spéciale à Fukushima)
Sciences et Avenir.fr
13/04/2011
dimanche 17 avril 2011
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