samedi 16 avril 2011

Fwd: Club de BUDAPEST - Infos - Le Monde - Radioactivité, j'écris ton nom


Objet : Club de BUDAPEST - Infos - Le Monde - Radioactivité, j'écris ton nom


http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/04/15/radioactivite-j-ecris-ton-nom_1508243_3244.html

Radioactivité, j'écris ton nom

LEMONDE | 15.04.11 | 14h01  •  Mis à jour le 15.04.11 | 14h01

Depuis le séisme survenu le 11 mars au Japon, et la catastrophe nucléaire qui s'ensuivit à Fukushima, becquerels, grays et sieverts sont devenus familiers. Sait-on pour autant ce que mesurent précisément ces unités de mesure des rayonnements ? Comment elles sont nées ? Quels physiciens leur ont donné leur nom ? Répondre à ces questions revient, en fait, à parcourir toute l'histoire de la radioactivité. L'une des rares disciplines scientifiques dont on peut exactement dater et situer l'origine.

Le 8 novembre 1895, à Würzburg (Allemagne), alors qu'il étudie le courant électrique dans un tube de Crookes - une sorte d'ancêtre des tubes des téléviseurs -, Wilhelm Röntgen fait une découverte incroyable : un élément inconnu rend luminescent un écran de platino-cyanure de baryum placé à un mètre de distance. Wilhem Röntgen en déduit que son appareil émet des rayons invisibles et très pénétrants, qu'il nomme "rayons X" tant leur nature reste mystérieuse.

Röntgen constate également que ces rayons impressionnent les plaques photographiques, et que l'on peut ainsi visualiser les os à l'intérieur du corps. La radiographie de la main de sa femme (connue comme "La main de Bertha") fait le tour de l'Europe, et sa découverte est publiée auprès de la société physico-chimique de Würzburg le 28 décembre 1895. Le même jour, le premier film des frères Lumière est projeté à Paris... Si bien que le profane mélangera longtemps le cinématographe et les films aux rayons X !

Cette découverte allait quelques mois plus tard en entraîner une autre, à laquelle le hasard participa une fois de plus. Tentant de prolonger les travaux de Röntgen en utilisant la lumière solaire, le physicien français Henri Becquerel dépose sur des plaques photographiques des sels d'uranium. Mais la pluie tombe sur Paris, et le physicien range ses plaques dans un tiroir.

Lorsqu'il les ressort quelques jours plus tard, il s'aperçoit qu'elles ont été impressionnées durant leur séjour à l'obscurité. Avec plus d'intensité encore que celles qu'il exposait habituellement au soleil ! C'est donc que le minerai émet naturellement, sans cause extérieure, des rayons "uraniques". Mais d'où provient l'énergie nécessaire à leur émission ? Ce sera le sujet de thèse de Marie Curie.

En 1897, la jeune Polonaise a 30 ans. Elle est mariée depuis deux ans avec Pierre Curie, et leur première fille, Irène, vient tout juste de naître. La suite figure dans tous les livres d'histoire des sciences. Pierre bricole un électromètre permettant de mesurer des quantités infimes d'énergie, et le jeune couple, dans un laboratoire de fortune, travaille d'arrache-pied pour purifier les éléments radioactifs qui feront leur célébrité.

En 1898, ils annoncent avoir isolé de la pechblende - un minerai riche en uranium - deux nouveaux éléments, beaucoup plus radioactifs que l'uranium : le polonium et le radium. Le 10 décembre 1903, les Curie et Henri Becquerel reçoivent le prix Nobel de physique pour la découverte de la radioactivité et l'étude de ses rayonnements.

A cette date, on ne parle pas encore, ou si peu, des effets biologiques des radiations. "Ce que mesurent Pierre et Marie Curie, c'est l'activité radioactive proprement dite, c'est-à-dire le courant que produisent dans l'air les particules émises", précise Nicolas Foray, radiobiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Pour quantifier cette activité, les chercheurs ont dans un premier temps recours à deux types d'unités : le röntgen (R), peu utilisé, qui mesure la quantité d'ionisation dans l'air causée par la décroissance radioactive des noyaux atomiques ; et le curie (Ci), qui donne le nombre de particules émises par seconde.

"En 1910, lorsque le Congrès international de radiologie demande à Marie Curie de proposer une unité de radioactivité, cela fait quatre ans que son mari est mort, renversé dans la rue Dauphine par une voiture à chevaux. En son honneur, elle suggère que cette unité soit le curie, et qu'à un Ci corresponde le nombre de particules émises par seconde par un gramme de radium", détaille M. Foray.

L'année suivante, Marie Curie prépare une masse de 21,99 mg de chlorure de radium très pur, qu'elle dépose au Bureau international des poids et mesures (BIPM). Ce premier "étalon" de la radioactivité révèle alors ce que craignaient nombre de physiciens : le nombre de particules émises par un Ci - 37 milliards - est gigantesque ! L'emploi de cette unité devenant avec le temps de plus en plus incommode, elle sera officiellement remplacée, en 1975, par le becquerel (Bq), qui équivaut à une particule émise par seconde : 1 Ci vaut donc 37 gigaBq, et 1 Bq vaut 27 picoCi. Des conversions acrobatiques qui ne facilitent pas l'abandon du curie, employé encore en radiothérapie.

Car les rayonnements ionisants - les manipulateurs de rayons X, à leurs dépens, s'en sont vite aperçus - ont des effets biologiques, et non des moindres... Pierre Curie l'avait vérifié dès 1906 : s'étant appliqué sciemment un tube de radium sur l'avant-bras, il constata les dégâts (rougeurs, brûlures, érythème, nécrose) et publia ses observations. En 1925 se tient à Londres le premier Congrès international de radiologie, qui reconnaît la nécessité d'évaluer et de limiter l'exposition aux radiations.

Mais comment quantifier le nombre de particules reçues par l'organisme ? Autrement dit, comment mesurer la "dose absorbée" ? Il fallait pour cela connaître la propriété physique des particules émises par les différents éléments radioactifs. Savoir à quelle vitesse elles étaient émises. Comprendre ce qu'elles devenaient dans le corps, si toutefois elles l'atteignaient... Vaste programme ! Car la désintégration d'un atome de césium ou d'iode, on le sait maintenant, ne libère pas la même énergie ; les rayonnements émis sont de nature très différente ; et tous ne touchent pas l'organisme de la même manière.

Ce chapitre, auquel Einstein contribue de façon majeure en défrichant le mécanisme de l'effet photoélectrique, s'écrit dans les années 1920-1930. Etape par étape, il permet de déterminer, quelles que soient la nature et l'énergie de la particule incidente, comment celle-ci pénètre et se transforme dans la matière vivante. En 1934, les premières limites de dose sont instituées.

La dose absorbée est tout d'abord exprimée en joule par kilo (J/kg), puis en gray (Gy) - 1 Gy équivalant à l'absorption de 1 J/kg de matière. Le Britannique Louis Harold Gray, figure essentielle de la radiobiologie, est en effet l'un des premiers physiciens à s'être préoccupé des effets biologiques des rayonnements. Et, surtout, il a découvert à la fin des années 1930 que les résultats ne sont pas du tout les mêmes selon que l'on traite des malades atteints de cancer avec des rayons X ou des électrons (comme on le faisait jusqu'alors en radiothérapie) ou avec des neutrons : à même dose physique (même nombre de grays), les neutrons sont 5 à 10 fois plus efficaces pour tuer les cellules tumorales que les rayons X.

"Vous avez un parapluie et il pleut. Pour une même quantité d'eau reçue, une grosse averse vous mouillera probablement plus qu'un petit crachin, illustre M. Foray. C'est la même chose pour les rayonnements : selon le type de particules, les effets secondaires dans l'organisme et les dégâts occasionnés sur l'ADN ne seront pas les mêmes." La dose physique n'étant pas suffisante pour prédire l'effet biologique, Gray élabore la notion d'efficacité biologique relative. Un nouveau pan de la recherche en radiobiologie commence.

Avec lui apparaît une nouvelle unité de mesure : le sievert (Sv), du nom du physicien suédois Rolf Sievert, célèbre pour ses travaux sur les effets biologiques des radiations et pour son implication dans les commissions qui sont à la base des règles de radioprotection actuelles.

Par rapport au gray, le sievert tient compte de deux facteurs de pondération. Le premier, qui traduit l'effet relatif du rayonnement considéré par rapport à un rayonnement de référence (celui des rayons X), permet d'apprécier son impact biologique sur un organe ou un tissu lors d'une exposition uniforme. Mais cette dose dite "équivalente", qui s'exprime en sieverts, ne permet pas de comparer les risques à long terme dus à des expositions localisées, car tous les organes n'ont pas la même sensibilité aux rayonnements.

C'est pourquoi a été introduit un deuxième facteur de pondération, traduisant la sensibilité relative de l'organe considéré. Prescrits par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), ces deux facteurs de correction permettent, lorsque l'exposition n'est pas reçue de façon uniforme, de calculer une dose qui se rapporte "au corps entier".

Cette dose, dite "efficace" (ou "effective"), présente l'avantage "non seulement de "traduire" toute irradiation, quelles que soient sa nature et sa localisation, par une seule et même grandeur, mais aussi, par addition, d'exprimer par un seul chiffre les risques cumulatifs dus à des expositions successives", précise l'Agence de sureté nucléaire (ASN). La valeur de la dose efficace étant généralement très petite, elle est le plus souvent exprimée en millisieverts (mSv).

Voilà, dans les grandes lignes, comment se sont élaborées les unités de mesure actuelles de la radioactivité... Sont-elles suffisantes ? Nicolas Foray ne le pense pas. "Lorsqu'on évoque les effets biologiques des rayonnements, on considère qu'un gray reçu par quelqu'un qui est radio-résistant et par quelqu'un qui est radio-sensible, cela donnera le même effet ; or il y a des gens qui meurent de la radiothérapie, encore aujourd'hui ! Tout le monde n'est pas égal face aux radiations, mais cette variable n'est toujours pas prise en compte !", s'indigne ce radiobiologiste. L'identification, puis la prise en compte, de ce facteur individuel, qui s'appuiera notamment sur les données de la génétique, constituera selon lui l'un des enjeux majeurs de la radiobiologie de demain. "Lorsqu'on parle d'une augmentation de cancers radio-induits au-dessus d'un seuil de 100 mSv, on ne tient pas compte de ce facteur individuel, ajoute-t-il. Alors même que son existence est prouvée depuis exactement un siècle !" Et de raconter la peu banale aventure à laquelle participa, en 1911, le radiologue français Louis Bouchacourt, qui vit arriver dans son service un couple de jeunes gens voulant se faire épiler... par rayons X.

Bouchacourt hésita, puis accepta. Pour se faire "une opinion personnelle sur cette question si discutée de l'idiosyncrasie en radiothérapie", précise-t-il dans le compte-rendu qu'il présenta, le 31 juillet 1911, devant l'Association française pour l'avancement des sciences. Le titre de cette note - "Sur la différence de sensibilité aux rayons de Röntgen de la peau des différents sujets" - dit assez la conclusion qu'il tira de cette double observation. Un siècle plus tard, le débat sur les effets individuels des faibles doses radioactives n'en reste pas moins à mener. Et l'unité de mesure correspondante à inventer.

Catherine Vincent Illustration Sergio Aquindo

Becquerel, gray, sievert... petit lexique sur les rayonnements ionisants


Activité Cette grandeur, exprimée en becquerels (Bq), représente le nombre de désintégrations par seconde au sein d'une matière radioactive, qui se traduit par l'émission de radiations. Au Japon, la limite autorisée d'iode 131 dans l'eau des nourrissons est de 100 Bq/kg.

Dose absorbée C'est la quantité d'énergie communiquée à la matière par unité de masse, exprimée en gray (Gy). Cette grandeur ne prend pas en compte l'effet biologique, qui est différent selon les types de rayonnements ionisants. Les particules alpha et bêta ont un pouvoir de pénétration très faible dans l'air - la peau peut stopper des noyaux d'hélium, une feuille d'aluminium des électrons - mais elles peuvent avoir un impact au contact des cellules en cas d'ingestion ou d'inhalation.

Dose équivalente C'est la grandeur utilisée pour tenir compte de la différence d'effet biologique des divers rayonnements, évoquée ci-dessus. Elle est exprimée en sievert (Sv). Cette grandeur est obtenue en multipliant la dose absorbée par un facteur de pondération WR.

Dose efficace Elle prend en compte, en plus de la dangerosité relative du rayonnement, la sensibilité de chaque tissu ou organe irradié, exprimée par un facteur de pondération WT spécifique à chacun d'eux. La dose efficace est obtenue en additionnant les contributions de chaque organe. On parle aussi de dose "corps entier". L'unité de dose efficace est là encore le sievert, ce qui peut induire de la confusion. A Fukushima, les agents soumis à des radiations, lorsque de l'eau contaminée a débordé dans leurs bottines, ont été exposés localement à une forte activité, mais la dose efficace n'était finalement pas trop élevée, dans la mesure où seuls quelques cm2 de peau avaient été exposés. D'un point de vue médical, la situation aurait été tout autre en cas d'inhalation ou d'ingestion de cette eau.

Débit de dose Il est très important pour un travailleur ou un sauveteur de connaître le débit de dose exprimé par exemple en millisievert par heure, indiqué par un dosimètre électronique portatif. A Fukushima, un débit de dose de 400 mSv/h a été enregistré à un moment donné. En France, la limite réglementaire d'exposition pour les travailleurs sous rayonnement ionisant (industrie nucléaire, radiologie médicale...), hors radioactivité naturelle et médicale, est fixée à 20 mSv/an, et peut être portée à 100 mSv/an en cas d'urgence. Pour le public, cette limite est de 1 millième de sievert par an (1 millisievert par an, 1 mSv/an).


Article paru dans l'édition du 16.04.11




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