jeudi 13 janvier 2011

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L'origine de l'Univers : un livre d'Etienne Klein

Etienne Klein  Etienne Klein vient de publier «Discours sur l'origine de l'Univers». Livre de physicien et de philosophie, où il traite de la notion d'origine de l'Univers, mais aussi de l'énergie et de la matière noires, les deux concepts énigmatiques de la physique actuelle.

Tout en respectant scrupuleusement la science, il présente de manière claire et accessible les enjeux intellectuels des pointes avancées de la physique théorique et de la cosmologie. Le lecteur y glanera aussi quelques savoureuses anagrammes. En voici deux exemples : «Albert Einstein» peut se lire «Rien n'est établi» et «L'accélérateur de particules» donne «Eclipsera l'éclat du Créateur».

Pourquoi la question des origines, et donc celle de l'origine de tout l'Univers, suscite-t-elle autant d'intérêt ?

Cela vient du fait que l'origine absolue –  le passage du néant à l'être, s'il a eu lieu  – est le point de rencontre de deux mouvements opposés de la pensée. D'une part, on estime que si l'on connaissait l'origine de l'Univers, on connaîtrait aussi l'intégralité de son histoire et peut-être même le sens de nos existences. Mais, d'autre part, on est porté à croire que c'est en comprenant mieux l'histoire de l'univers que nous pourrions en saisir l'origine.

L'origine incarne donc à la fois la solution et le problème, la clé de tout et le mystère le plus absolu : elle Livre Klein couv représente la réponse à toutes nos interrogations en même temps qu'elle constitue le problème qu'on ne pourra résoudre que lorsqu'on aura résolu tous les autres… Ce double statut de la question de l'origine provoque un appétit intellectuel autant qu'existentiel. Intellectuel car elle est un défi pour la pensée. Existentiel parce qu'on pense que la connaissance de l'origine nous permettrait de comprendre pourquoi et pour quoi nous sommes là. D'où une certaine compétition entre science et religion autour de ces questions, d'autant plus que parler de l'origine de l'univers ou prétendre qu'on la connaît, c'est exercer un certain pouvoir sur les esprits. Mais si vous tendez bien l'oreille, vous constaterez que si tout le monde parle de l'origine de l'univers, personne ne la dit jamais…

Qu'est-ce qui fait l'actualité de cette interrogation ?

Sur l'origine de l'univers proprement dite, il n'y a pas d'actualité scientifique particulière. L'actualité est plutôt d'ordre culturel : de nombreux physiciens ont compris qu'ils devaient davantage ­réfléchir à la façon de traduire leurs connaissances en langage courant. Souvent, nous parlons plus loin que nous ne savons. Cela crée toutes sortes de malentendus. Par exemple, on évoque les modèles de big-bang comme s'ils avaient directement accès à l'instant zéro, présenté comme l'instant marquant le surgissement simultané de l'espace, du temps et de la matière. Dans le langage courant, l'expression «big-bang» en est ainsi venue à désigner la création du monde, le «fiat lux» originel, de sorte qu'on se demande ce qui a bien pu se passer avant. Or cette assimilation entre big-bang et instant zéro est abusive. Les équations de notre physique cessent en effet d'être valides bien avant d'atteindre la fameuse «singularité initiale».

Des télescopes et accélérateurs de particules exhibent ce mot «origines» dans leurs programmes. Science ou dérapage publicitaire  ?

Les origines cela signifie s'éloigner de plus en plus dans le passé, étudier les conditions de plus en plus extrêmes de densité d'énergie et de température qui étaient celles de l'univers primordial, observer ce qui s'y passe, voir d'où proviennent les objets qui le constituent. Il s'agit en somme de prolonger Infographie Planck et Big bang l'exploration du passé. Ces recherches ont déjà produit des résultats fabuleux. Les cosmologistes peuvent aujourd'hui raconter, avec un degré de précision étonnant, l'évolution physique et chimique de notre Univers depuis 13,7 milliards d'années.(Voir graphique ci-contre, cliquer pour agrandir)

Ce nombre, et les milliers de pages de cette saga turbulente, constituent une conquête admirable de l'esprit humain. Elle a été rendue possible par des exploits technologiques (je songe aux télescopes terrestres et spatiaux, aux accélérateurs de particules) et par un travail collaboratif de milliers de physiciens, d'astrophysiciens, d'ingénieurs, de techniciens depuis un demi-siècle. Il ne faut surtout pas relativiser la portée intellectuelle de cet effort, et encore moins bouder son caractère fascinant. Songez qu'on sait reconstituer la genèse (dans les étoiles) et l'histoire (longue de 5 milliards d'années) des atomes de potassium qui se trouvent dans votre squelette… Mais, petit paradoxe, quand un physicien parle de l'origine de telle ou telle chose, il raconte en fait l'histoire d'un achèvement : il explique comment ce qui précédait a pu engendrer ce qui est survenu… Tout commencement est donc la fin d'un processus. C'est pourquoi l'origine de l'Univers lui-même nous échappe : par définition, elle n'est précédée par rien. Nous ne devrions donc pas laisser penser que la question de l'origine de l'Univers est désormais installée à l'intérieur des frontières mêmes de la science. On trouve suffisamment de publicités mensongères ailleurs.

Dans ce programme visant à remonter le passé, où en êtes vous arrivés ?

D'un point de vue expérimental, si l'on veut voir les phénomènes qui se déroulaient dans l'Univers primordial, il faut provoquer des collisions de particules grâce à des accélérateurs de haute énergie. On crée ainsi, pendant une durée très brève, des conditions physiques extrêmes, en l'occurrence une très haute température, et aussi une très grande densité d'énergie provenant de l'énergie des particules incidentes qui soudain se ­concentre en une toute petite zone de l'espace. Les phénomènes qui se Cern_3 déroulent alors sous nos yeux sont exactement ceux qui se sont déjà produits, mais à l'abri des regards, dans le passé de l'Univers. Plus l'énergie des collisions est élevée, plus on remonte loin dans le passé. Au Large Hadron Collider du Cern, le collisionneur de particules le plus puissant jamais ­construit, l'énergie de chaque particule est à peu près celle d'un moustique en vol, ce qui donne une densité d'énergie bien plus grande que celle qu'on trouve dans la matière ordinaire. Mais on est encore loin du compte : dans l'Univers tout à fait primordial, des particules pouvaient avoir l'énergie d'un TGV fonçant à 300 km/h… Si l'on regarde maintenant l'aspect théorique des choses, nos équations, lorsqu'elles tentent d'aller très loin dans le passé, finissent par buter sur ce qu'on appelle le «mur de Planck». (photo, centre de controle du LHC au Cern, CERN)

Et de quoi est fait ce mur ?

Ce terme ne désigne pas un mur physique, mais un mur cognitif. Il correspond à un moment particulier de l'histoire de l'Univers, une phase par laquelle il est passé et qui se caractérise par le fait que les théories physiques actuelles sont impuissantes à décrire ce qui s'est passé en son amont. Le mur de Planck Planck, auquel sont notamment associées une énergie ( 10 puissance 19 GeV, autant de milliards d'électronvolts) et une durée ( 10 puissance -43 seconde), représente ce qui nous barre aujourd'hui l'accès à l'origine de l'Univers, si origine il a eu. Il incarne en effet la limite de validité ou d'opérativité des concepts de la physique que nous utilisons : ceux-ci conviennent pour décrire ce qui s'est passé après lui, pas ce qui a eu lieu avant lui. Ainsi, nos représentations habituelles de l'espace et du temps perdent toute pertinence en amont du mur de Planck. (Photo, le physicien Max Planck).

Comment escalader ce mur ? Et qu'y a-t-il ­derrière ?

Pour escalader ce mur, il faut construire une théorie qui soit capable de marier la physique quantique, qui décrit la matière à petite échelle, et la relativité générale d'Einstein, qui décrit l'Univers à grande échelle. Les théoriciens qui travaillent sur ce sujet osent toutes les hypothèses : l'espace-temps posséderait plus de quatre dimensions ; à toute petite échelle, il serait discontinu plutôt que lisse ; ou encore il serait théoriquement dérivable ou déductible de quelque chose qui n'est pas un espace-temps… Ces différentes pistes ne sont encore que des conjectures, mais –  point remarquable  – toutes ont la propriété de faire passer un sale quart d'heure à l'instant zéro : pour elles, plus de singularité initiale ! Tout se passe en somme comme si le mariage de la physique quantique et de la relativité générale devait aboutir à l'abolition de la création de l'Univers…

Comment parler honnêtement de ces tentatives au grand public ?

En se donnant du temps et avec une rigueur d'autant plus grande qu'il s'agit de questions fondamentales facilement transmutables en gloubi-boulga métaphysique. Le langage des sciences (surtout des «dures») est une sorte de chinois. Or, comme disait Lacan, «tout le monde n'a pas le ­bonheur de parler chinois dans sa propre langue». Nous devons donc faire preuve de pédagogie, travailler sur le langage que nous utilisons, et surtout éviter l'esbroufe…

Franchement, l'être et le néant, c'est un truc pour philosophes, pas pour scientifiques ?

Sans doute, car pour les scientifiques, l'alternative est simple. Soit l'Univers a eu une origine que la science n'a pour le moment pas saisie : dans ce cas, il a été précédé par une absence totale d'être ; cela signifie qu'il a résulté d'une extraction hors du néant, extraction qui est indicible, car pour expliquer comment le néant a pu cesser d'être le néant, il faut lui attribuer des propriétés qui, par leur seule existence, le distinguent de lui-même… Soit l'Univers n'a pas eu d'origine : dans ce cas, il y a toujours eu de l'être, jamais de néant ; dès lors, à l'évidence, la question de l'origine de l'Univers ne se pose plus – elle n'était qu'un problème mal posé – mais elle se trouve remplacée par une autre question, la plus impénétrable de toutes, celle de l'être : pourquoi l'être plutôt que rien ?

- pour le côté "esbrouffe" dont parle Etienne Klein, voir la série de notes sur les frères Bogdanov (ou Bogdanoff). Ici, ici, ici et ici.

- Pour la matière noire, cette note récente.

- Pour l'énergie noire, voir cette note récente.






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