lundi 23 novembre 2009

Ricardo Petrella « Humanité et biens communs » - l'Humanite


Ricardo Petrella « Humanité et biens communs »

Ricardo Petrella est président de l'Institut européen de recherche sur la politique de l'eau (IERPE), Bruxelles.
Peut-on parler de citoyenneté dans la mondialisation actuelle  ?
Ricardo Petrella. S'il est vrai qu'il y a un problème de sécurité et de bien-être mondial, il faut que nous inventions cette communauté mondiale de citoyens. De là vient l'idée de la reconnaissance de l'humanité en tant que sujet juridique, politique, et d'avoir des réponses à l'échelle mondiale. Les États offrent désormais un cadre trop étroit. Les Nations unies ont démontré qu'elles étaient génétiquement liées aux États, elles ne peuvent pas produire de vision, de stratégie des actions mondiales. Cette humanité, il nous faut donc l'organiser. Je propose qu'on passe de l'Organisation des Nations unies à l'Organisation mondiale de l'humanité. Le concept difficile de citoyenneté mondiale est de dire que l'ensemble des pays est confronté à la nécessité de la construction d'une meilleure société à l'échelle de la planète. Nous devons donc entrer dans une génération de biens communs mondiaux. Si nous restons dans une logique de « patrimonialisation » au stade national des ressources naturelles et des ressources non matérielles, nous serions face à une grande contradiction historique qui ne fera qu'accentuer à l'avenir les guerres mondiales autour des ressources indispensables pour la sécurité de vie et d'existence des différents peuples.
Vous parlez de sécurité planétaire et d'interdépendance entre les peuples, qu'est-ce que cela signifie  ?
Ricardo Petrella. La sécurité planétaire se transforme dans différentes périodes de plus ou moins forte intensité, elle peut être énergétique, alimentaire, militaire ou technologique. Ces formes varient selon la puissance, la force économique ou l'ampleur démographique des pays. L'interdépendance est devenue d'autant plus aiguë que, grâce ou malgré ou hélas  !, certains usages de technologies, je pense à l'armement nucléaire, la sécurité est devenue de toute évidence un problème planétaire. Mais elle est surtout ressentie aujourd'hui au plan de l'existence environnementale. Quarante villes américaines ont de graves problèmes d'approvisionnement en eau, c'est le cas aussi pour 250 villes chinoises de plus de 250 000 habitants… Le problème de l'eau est devenu un problème de sécurité mondiale, comme l'est la crise alimentaire. Ce sont les grands défis de ce XXIe siècle.
Qu'entendez-vous par biens communs à l'échelle de la planète  ?
Ricardo Petrella. Les biens vitaux, essentiels à la vie, l'air, l'eau, le capital bioéthique, les forêts, le soleil, l'énergie, les connaissances doivent être reconnus biens communs mondiaux. Or nous faisons exactement le contraire. En ce moment on s'éloigne de la citoyenneté mondiale lorsqu'on affirme que pour résoudre les émissions de CO2, il faut créer le marché des émissions de CO2. On marchandise et on privatise l'air parce que je peux m'acheter une quantité d'air pollué ou pas. Idem pour l'eau, les forêts et les connaissances. C'est pourquoi le prochain sommet de Copenhague est concrètement un échec. Nous, les « développés », nous ne voulons pas changer le régime de droit de propriété intellectuelle. Si la Chine, l'Inde ou le Brésil décident de produire de nouvelles semences ou d'utiliser des espèces végétales moins consommatrices d'eau, d'énergie, ou encore de mettre au point la liquéfaction du charbon…, ils doivent acheter nos droits de propriété intellectuelle. J'oppose à cette logique le triptyque humanité, citoyenneté et biens communs mondiaux.
L'implication des individus et leurs luttes sont donc indispensables pour faire avancer cette démarche citoyenne…
Ricardo Petrella. C'est évident. Si l'on parle de sécurité et de bien-être et que l'on reconnaît le bien commun essentiel pour la vie de tout le monde cela signifie que moi je reconnais que l'autre est indispensable pour ma propre existence. C'est là le point central et profond de la citoyenneté mondiale. L'autre est unique et universel. Le reconnaître signifie d'abord légitimité, rationalité totale de l'altérité, c'est-à-dire de l'identité diverse et différente. C'est dans la rencontre entre les différentes altérités qu'on peut avoir la volonté de vivre ensemble avec pour objectif la sécurité collective. La paix ne peut pas être l'imposition de la force, elle doit reconnaître l'identité de l'autre, son droit à la vie et sa capacité d'avoir un pouvoir de participation aux décisions relatives au devenir de l'ensemble des êtres humains. C'est ça la paix.
La participation est-elle l'exercice de la citoyenneté  ?
Ricardo Petrella. Oui, en quelque sorte. La citoyenneté se traduit dans la vie quotidienne dans la participation. Ce n'est pas un slogan qui serait commode un dimanche pour discuter. Elle implique des « ingénieries » de vie, par exemple dans un hôpital ou une école où les différentes personnes dans leur diversité peuvent contribuer à faire avancer le vivre ensemble de tous en communauté. Ce n'est pas un hasard si nous ne sommes plus satisfaits de la démocratie représentative, c'est-à-dire du principe de la délégation du pouvoir de décision aux autres. Il est nécessaire d'enrichir la démocratie représentative par des formes de démocratie où les êtres participent, où l'on retrouve la plénitude de la citoyenneté qui nécessairement comprend l'universalité de la reconnaissance de la diversité.
Entretien réalsié par Bernard Duraud
Notre dossier Citoyenneté





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