mardi 26 avril 2011

POUR UNE VISION INTEGRALE DU FACE A FACE ACTUEL SUR LE NUCLEAIRE CIVILE : Le monde - "Les leçons de Tchernobyl n'ont pas été tirées " VERSUS Valeursactuelles.com - "l'Europe est le continent de la peur"



Les leçons de Tchernobyl n'ont pas été tirées

LEMONDE| 25.04.11 | 13h50  •  Mis à jour le 26.04.11 | 09h32

 

En 1986, le 26 avril, le quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait. Pour la communauté scientifique, aucun doute ne subsiste quant au lien entre cette catastrophe nucléaire et l'inversion des courbes de croissance dans les régions directement concernées par l'exposition à la radioactivité. En particulier en Biélorussie, où l'on assiste à une "hécatombe" démographique avec un taux de croissance de - 5,9 %.

Alors que la natalité est en chute libre, les données sur la mortalité atteignent des valeurs inquiétantes, essentiellement en raison de pathologies cardiovasculaires et de cancers dont le nombre croît chaque année. La baisse de la natalité est, elle, liée à des troubles du fonctionnement des systèmes reproductifs - féminin et masculin - et à des pathologies lourdes affectant le développement embryonnaire et foetal. Tchernobyl a aggravé l'état de santé de personnes au métabolisme perturbé et au génome fragilisé parce que contaminées pendant vingt-cinq ans par des radionucléides, en particulier du Cs-137.

Les gouvernements de l'ex-URSS puis de la Biélorussie, de l'Ukraine et de la Russie, se sont montrés incapables de gérer les problèmes posés par l'accident de Tchernobyl. L'une des causes majeures de l'échec réside dans l'absence d'informations objectives concernant l'impact des agents radioactifs sur la santé humaine. La censure de l'information s'explique en grande partie par la collusion entre le lobby nucléaire et le régime autocratique de la Biélorussie.

A l'heure où la centrale de Fukushima continue de déverser - et pour un certain temps encore - des radionucléides dans la biosphère, rappelant la contamination causée par l'explosion de la centrale de Tchernobyl vingt-cinq ans auparavant, la mise en oeuvre de mesures de radioprotection dans ces zones s'impose de toute urgence. Pendant des années, l'aide européenne était exclusivement orientée sur la sécurisation du site de Tchernobyl et de son sarcophage. Le 19 avril, la Commission européenne a d'ailleurs promis 110 millions d'euros supplémentaires. Il est néanmoins essentiel de consacrer une partie des financements à des projets sanitaires.

Il va sans dire qu'aucun système de radioprotection n'est efficace en termes de prévention des maladies invalidantes et mortelles sans actions politiques concrètes ni diffusion correcte de l'information.

Ce point est crucial. Même si le nombre "d'anomalies" entourant la catastrophe de Tchernobyl n'a rien à voir avec la situation rencontrée dans les pays démocratiques, l'accès à une information impartiale ne va pas de soi.

Nous l'avons constaté une fois de plus au moment de l'accident de Fukushima. Or, dans le cas d'accidents nucléaires, ce principe est littéralement vital !

Les alternatives existent

On mesure dès lors toute l'importance du Centre d'analyse et de coordination "Ecologie et santé" de Kiev. Parmi ses fonctions, l'évaluation objective de la situation dans les territoires contaminés et la mise en place de dispositifs de protection pour les populations et les secouristes en cas d'accidents nucléaires. Egalement, la création d'un centre de réadaptation pour les personnes affectées par l'accident de Tchernobyl, dont les centaines de milliers de "liquidateurs" qui se sont sacrifiés pour épargner à l'Europe une contamination encore plus étendue. Cette institution dispose désormais d'une expertise et de connaissances inédites dans la prévention et la réadaptation des personnes souffrant de maladies radio-induites.

Un projet pilote d'autant plus précieux qu'il peut servir pour d'autres régions contaminées et, au pire, dans d'autres cas d'accidents nucléaires mais également être dupliqué dans la région de Fukushima. La technologie nucléaire et les conséquences de la radioactivité constituent une menace réelle pour l'homme.

Si l'on arrête de se voiler la face, on comprend vite combien la course à l'armement nucléaire et le développement du nucléaire civil sont insensés. Même si les frontières françaises semblent avoir des vertus magiques leur permettant d'arrêter le nuage radioactif de Tchernobyl ou, dans un tout autre registre, les trains de réfugiés nord-africains en provenance d'Italie, de plus en plus de citoyens sont conscients des risques liés à cette technologie.

Aux séquences tragiques des accidents de Tchernobyl et de Fukushima s'ajoutent tous ceux qualifiés de "mineurs" mais également les questions non résolues des déchets radioactifs et du démantèlement des centrales. Outre le fait que cette technologie d'arrière-garde continue de ponctionner les fonds publics de manière vertigineuse, les conséquences sur l'homme de l'exposition directe et indirecte sont telles qu'elles nous obligent à envisager sérieusement la sortie progressive du nucléaire.

Une sortie qui n'est plus simplement "un rêve d'illuminés" mais une option politique crédible pour certains gouvernements dont l'Allemagne qui, rappelons-le, figurent en tête des économies mondiales, loin devant la France...

Les alternatives au nucléaire existent, comme l'ont démontré depuis longtemps les organisations environnementales, mais aussi de nombreux chercheurs et ingénieurs de renom, à l'instar des instigateurs du scénario négaWatt. Alors que nous disposons des technologies nous permettant de sortir du nucléaire tout en respectant nos engagements climatiques d'ici à 2050, certains Etats s'obstinent à entretenir le mythe de sa renaissance.

Le futur énergétique de l'Europe et la réduction des gaz à effet de serre dépendront des investissements que nous ferons dans les dix ans à venir. A nous de savoir si, dans ce rapport de force entre les promoteurs du nucléaire et ceux des énergies renouvelables, nous préférons nous tourner vers cette "bonne vieille" technologie nucléaire ou au contraire vers des technologies qui nous permettront de construire un futur durable et responsable.


Yuri Bandajevsky est professeur d'anatomo-pathologie ; recteur de l'université de médecine de Gomel (Biélorussie).

Michèle Rivasi est députée européenne ; fondatrice de la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité) créée au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl.

Daniel Cohn-Bendit est président du groupe des Verts au Parlement européen.

 

Yuri Bandajevsky, Michèle Rivasi et Daniel Cohn-Bendit Article paru dans l'édition du 26.04.11
 
 


 

Claude Allègre : "l'Europe est le continent de la peur"

Dans son dernier ouvrage, Faut-il avoir peur du nucléaire ?, Claude Allègre revient sur l'accident de Fukushima. Il dénonce les amalgames faits par les médias, l'indécence des écologistes et le manque de compassion pour les Japonais. Il ne faut pas, selon lui, craindre le nucléaire, il faut juste bien le contrôler.

L'accident de Fukushima s'est produit il y a tout juste un mois. Pensez-vous que les Japonais ont réagi comme il le fallait ? La société Tepco, le groupe privé qui gère la centrale, a cherché par tous les moyens à sauver sa centrale. Au tout début de l'incident, elle a refusé de refroidir les réacteurs avec de l'eau de mer… Si elle avait pris cette décision, la réaction nucléaire aurait été stoppée net mais les réacteurs auraient été ensuite inutilisables. Des considérations financières étaient en jeu : Tepco voulait surtout éviter de perdre de l'argent.

Quant au gouvernement japonais, il ne s'est pas occupé immédiatement des problèmes auxquels la centrale nucléaire était confrontée : il a en effet porté toute son attention sur les désastres consécutifs au tremblement de terre et au tsunami. Quand le gouvernement a commencé à s'intéresser à la centrale, la situation s'était déjà dégradée. C'est ce qui explique une partie des problèmes qu'il rencontre aujourd'hui pour colmater les fuites.

Pensez-vous que le nucléaire sera remis en question à l'échelle mondiale ? Rendons aux événements leur juste valeur. Les deux événements majeurs qui se sont produits au Japon sont le tremblement de terre et le tsunami, et rien d'autre ! À Fukushima, il y a eu certes un accident mais il n'y a pas eu de catastrophe nucléaire. On dénombrera sans doute plus de 30 000 morts au Japon, mais il n'y aura vraisemblablement aucune victime du nucléaire.

Comment jugez-vous l'emballement médiatique ? Dans l'esprit du grand public, il y a eu un amalgame fait entre Fukushima et Hiroshima, entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire ; une centrale peut certes exploser comme le ferait une Cocotte-Minute, mais sûrement pas se transformer en bombe atomique. La teneur en matériau fissile, uranium 235, n'est en effet pas la même dans un réacteur et dans une bombe atomique.

Les écologistes sont en grande partie responsables de cette assimilation, comme d'ailleurs les médias qui ont mélangé tremblement de terre, tsunami et nucléaire. Je trouve cette attitude d'une grande indécence.

Il fallait au contraire montrer de la compassion pour les Japonais et faire preuve de solidarité en leur apportant immédiatement de l'aide ; c'était le plus important. Au lieu de cela, tous ont fait preuve d'un grand manque de rigueur.

Comment cela ? Encore une fois, les amalgames qui ont été faits par Nicolas Hulot et ses amis sont absolument scandaleux. Au Japon, le problème n'est pas venu du tremblement de terre – la centrale a d'ailleurs bien résisté, et c'est l'élément positif– mais du tsunami. Prenez l'agitation actuelle autour de la centrale de Fessenheim, dans le Haut- Rhin : les deux situations n'ont rien à voir, il n'y aura pas de tsunami en Alsace ! De manière plus globale, ce qui s'est déroulé au Japon ne pourra pas se passer en France, où il n'y aura ni séisme de magnitude 9, ni tsunami. Je vois surtout que les écologistes veulent sortir du nucléaire comme ils veulent qu'on se débarrasse des OGM. Ils détruisent les ambitions européennes.

Les centrales françaises sont-elles dangereuses ? Avec une centrale nucléaire, il y a toujours des risques mais pas de menace. Lors des accidents, des incidents et des pannes, ces risques ont toujours été parfaitement maîtrisés. C'est inhérent à toute construction industrielle. En tenant compte d'Hiroshima, de Nagasaki et de Tchernobyl, le nucléaire a jusqu'à présent tué infiniment moins de monde que le charbon, l'avion ou les accidents de la route : chaque année, on dénombre dans le monde 300 000 morts, dont 4 000 rien qu'en France. Est-ce que l'on interdit la voiture pour autant ?

Une solution serait de consulter les Français par référendum…Vous n'allez quand même pas demander l'avis de la population française sur un sujet aussi pointu que le nucléaire ! La démocratie est une bonne chose quand la consultation porte sur un thème dont tout le monde comprend les tenants et les aboutissants. Va-t-on demander aux Français s'ils pensent que le théorème de Pythagore est exact ou non ? Il ne faut pas faire de référendum pour décider d'une réalité scientifique.

Le plus grand risque n'est-il pas finalement l'ignorance ? Non, le plus grand danger c'est la peur, et elle nous empêche d'aller de l'avant. L'Europe est le continent de la peur et celle-ci pourrait bien nous faire revenir en arrière, au temps des cavernes. Les conséquences sont déjà là… Pourquoi la reprise économique se fait-elle un peu partout dans le monde et pas en Europe, où on ne se soucie que d'une chose : que le ciel ne nous tombe pas sur la tête ? À ce train-là, la France ne restera pas longtemps la cinquième puissance économique mondiale… Et je redoute que nous passions très rapidement de la cinquième à la dixième place…

Que se passerait-il si le gouvernement décidait finalement de sortir du nucléaire ? Avoir des centrales nous permet de disposer d'une électricité 40 % moins chère qu'ailleurs et de limiter notre facture pétrolière. Décider de sortir du nucléaire plongerait immédiatement les deux tiers de la France dans le noir ! Il n'y aurait plus d'électricité. Remplacer le nucléaire par une énergie renouvelable supposerait l'installation de 100 000 éoliennes en France, ou l'équivalent en surface de deux départements couverts de panneaux solaires. C'est sans compter sur les jours où il n'y a ni vent ni soleil !

Comment expliquez-vous alors que les Allemands veuillent sortir du nucléaire ? Je n'explique pas cette absurdité ; c'est une bêtise ; c'est de la politique politicienne. Le chancelier Schröder le regrettait. Résultat de leur intransigeance sur le nucléaire, les Allemands polluent l'Europe car ils exploitent du charbon à grande échelle et leur charbon, la lignite, est un des plus sales d'Europe.

On entend davantage les écologistes sur le nucléaire que sur l'utilisation de la lignite… J'affirme que les écologistes sont vendus, il faut bien comprendre cela. Pourquoi croyezvous qu'il y a un lobby pour l'éolien ? Tout simplement parce que les sociétés qui exploitent les éoliennes financent les mouvements écologistes ! Les écologistes sont des gens d'extrême gauche ; ce sont les mêmes gauchistes qu'en Mai 68. Ils se sont reconvertis dans l'écologie mais ils n'ont pas changé leurs idéaux fondamentaux : ce sont des opposants aux sociétés dans lesquelles nous vivons.

Le débat actuel porte sur l'interdiction ou non d'exploiter le gaz de schiste… L'interdire serait incompréhensible car on se priverait d'importantes ressources énergétiques. Je serais plutôt partisan d'une réglementation comme l'ont fait les Américains, qui viennent de voter une loi de protection de l'environnement.

Les principaux opposants au gaz de schiste rappellent qu'au début des accidents se sont produits aux États-Unis, mais ils étaient le fait de petites sociétés qui n'offraient pas toutes les garanties de sécurité. Les mêmes dénoncent également une consommation excessive d'eau. Il y a enfin des problèmes liés à l'utilisation de produits chimiques : il faut donc faire attention aux rejets d'eaux. Il faudrait également changer le code Napoléon, dont dépend le droit minier. Prévoir que le propriétaire du sol et les collectivités territoriales soient bénéficiaires si on trouve quelque chose dans leur sous-sol. Cela changerait leur perception : aujourd'hui, ils n'ont aucun intérêt à promouvoir cette ressource énergétique.

Propos recueillis par Frédéric Paya.

Faut-il avoir peur du nucléaire ? de Claude Allègre, avec Dominique de Montvalon, Plon, 168 pages, 9,90 €.


.
__,_._,___




Aucun commentaire: